C’est tout jeune que Berkeley a conçu l’idée maîtresse de sa philosophie, et a publié ses ouvrages majeurs. Il met au centre de son oeuvre la perception, et nie l’idée générale abstraite d’être ou d’existence ; ainsi n’existent que les esprits qui perçoivent et les choses ou idées sensibles, qui sont perçues. De ce fait, sa philosophie ne saurait être ni un idéalisme, ni un spiritualisme, mais un couple où la perception ajusterait l’un à l’autre les esprits et les idées, – comme l’amour colle les deux moitiés d’un symbole qui avait été cassé – ; il a inventé le mot « immatérialisme » pour désigner sa philosophie, car la perception des idées y rend vide la notion de matière. Penseur lumineux, concis et élégant, Berkeley est un génie tranquille, resté simple comme un irlandais sait l’être, et toujours confi ant en la vérité qu’il a vue. Dans ces leçons, je tente de mettre mes pas et ceux du lecteur dans les pas de Berkeley. Le parcours que je propose est moins celui de la connaissance que celui de la compréhension. En fin de course, je passerai le bâton de relais à qui aurait envie de poursuivre sa route avec ce grand voyageur, car les études publiées en français sont encore trop rares. La lecture de ces leçons est elle-même une traversée qui mène à bon port : « C’est comme de rentrer chez soi après un long voyage : l’homme alors repasse en son esprit avec plaisir les nombreuses difficultés qu’il a rencontrées, les perplexités qu’il a connues ; il met son coeur à l’aise, et se réjouit de lui-même, envisageant le futur avec joie. » (Berkeley, Préface des Trois dialogues entre Hylas et Philonous)