Platon, le plus institutionnel des philosophes, celui auquel il est de bon ton, pour un esprit auto-proclamé libre, de jeter la pierre – à moins qu’il ne faille le révérer comme un monument historique – est aussi le plus engagé et le plus provocateur. Il est symptomatique que, même pour dénoncer ses positions politiques supposées réactionnaires, voire totalitaires, ou son prétendu idéalisme ontologique et épistémologique, on en revienne toujours à lui. Il est peut-être le philosophe qui fait le plus réagir : ce pourfendeur d’idoles a toujours bousculé les manières ordinaires de penser.
À son époque, il traitait de questions d’une actualité brûlante : il remettait en cause les valeurs de la société athénienne (la démocratie, Homère), et opposait au prétendu savoir des intellectuels et hommes politiques de son temps le désir de savoir des véritables philosophes, qui, eux, savent que, n’étant pas des dieux, ils ne savent pas. Aujourd’hui, il met à mal nos catégories et nos évidences : ce philosophe qui écrit des dialogues à intrigue et personnages, et exprime au moyen de mythes ses idées les plus fondamentales, pose l’existence réelle de Formes intelligibles sur lesquelles doit se régler une action politique et éducative réaliste, ancrée dans une réflexion anthropologique sur la prééminence des affects.