La vie de Socrate se confond avec l'histoire d'une cité, Athènes, de son apogée dans le premier quart du Ve siècle avant J-C, à sa chute et à sa défaite, à la toute fin de ce siècle. Avec lui naquit la philosophie moderne, centrée sur l'homme et sur la morale. Pourtant Socrate, qui fut essentiellement l'homme d'un lieu et d'une époque, incarne une figure universelle : il est pour nous LE philosophe par excellence. Son destin ne s'acheva donc pas en ce jour de 399 où, dans sa prison près de l'agora, il dut boire la cigüe ; bien au contraire, commença alors pour lui une longue migration qui, de ses disciples du quatrième siècle avant J-C à ses plus lointains héritiers du vingt-et-unième de notre ère, allait le conduire de la cité d'Athènes à la Romanité toute entière, puis à l'ensemble du monde occidental. De l'homme historique, on ne connaît que les grands traits : sa naissance, sa famille, quelques anecdotes... Comme on le sait, il n'a rien écrit, et n'a laissé aucune trace matérielle ; très vite, donc, d'autres que lui se sont employés à construire sa légende, fluctuante, contradictoire : tour à tour héros et martyr, ascète et débauché, figure christique et sans-culotte, oligarque et champion de la liberté d'expression, en somme, à chacun « son » Socrate... Nous retracerons ici quelques étapes de la vie d'un homme, mais surtout d'un mythe de vingt-cinq siècles, sans cesse recommencé, et toujours neuf.