Que la politique soit en proie aux « passions », tout le monde l’accordera. Autrement malaisé serait de faire entendre que les affects sont son étoffe même. La politique n’est-elle pas aussi affaire d’idées et d’arguments, et les « passions » ne sont-elles pas finalement que distorsion de cet idéal d’une politique discursive rationnelle ?
Le point de vue spinoziste bouscule la fausse évidence d’une antinomie entre les « idées » et les affects. On émet bien des idées pour faire quelque chose à quelqu’un – pour l’affecter. Et, réciproquement, les idées, spécialement les idées politiques, ne nous font quelque chose que si elles sont accompagnées d’affects. Faute de quoi, elles nous laissent indifférents. En « temps ordinaires » comme dans les moments de soulèvement, la politique, idées comprises, est alors un grand jeu d’affects collectifs.
Frédéric Lordon
Économiste et philosophe, directeur de recherche au CNRS, il est notamment l’auteur de Capitalisme, désir et servitude (2010), D’un retournement l’autre (2011) et Imperium. Structures et affects des corps politiques (2015).