D’où viendra le danger ? L’un lève les yeux au ciel, l’autre jette un regard de côté. Deux soldats, pressés l’un contre l’autre, confrontent leurs solitudes apeurées. Ils furent peints par Ambrogio Lorenzetti, comme en état d’urgence sur cette fresque que l’on dit du « Bon Gouvernement ». C’était en 1338, dans le palais public de la république de Sienne, tandis que rôdait le spectre de la tyrannie.
Il est une actualité de cette peur ancienne qui hante toujours notre modernité. Elle saisit à nouveau dès lors qu’on laisse venir la force politique des images. Car ce qui fait le « bon gouvernement » n’est rien d’autre que ses effets concrets, visibles et tangibles sur la vie de chacun. En les regardant en face, sans doute a-t-on quelque chance de repousser, pour un temps, la trouble séduction de la seigneurie. La peinture de Lorenzetti est le récit fiévreux de ce combat politique toujours à recommencer.
Patrick Boucheron
Né en 1965, il est historien et enseigne à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il est notamment l’auteur de Léonard et Machiavel (Verdier 2008, rééd. Verdier/poche 2013) et a dirigé L’Histoire du monde au XVe siècle (Fayard, 2009, rééd. Pluriel 2012).