A la fin de janvier 1726, François-Marie Arouet, dit Voltaire, est bastonné, sans raison, par des valets aux ordres du chevalier de Rohan. Il demande justice, on le jette à la Bastille. Il est, déjà, le plus célèbre poète français, mais un écrivain n’est rien face au rejeton d’une bonne famille. Un demi-siècle plus tard, en mars 1778, Paris en liesse accueille Voltaire comme un roi, cependant que Versailles boude. Essayer de comprendre ce qui s’est passé entre deux moments, c’est parcourir les fils emmêlés d’une aventure individuelle, singulière, celle d’un homme de lettres dont l’ambition est aussi éclatante que le génie, et d’une aventure historique, celle d’une société qui découvre et expérimente un pouvoir inédit, celui de forger et d’exprimer publiquement son opinion, face à l’Etat absolu. Aucune de ces deux aventures n’est simple, linéaire ; l’ambiguïté, le masque, la contradiction en sont au contraire les traits permanents. Mais de ces dessins troubles et indécis surgit une figure sociale nouvelle, promise à un bel avenir, celle de l’intellectuel, appelé alors philosophe. Une figure dont Voltaire a été tout à la fois l’initiateur, le stratège et le héros.
C’est à une éblouissante traversée de cette vie si inlassablement active que nous convie Pierre Lepape dans ce livre qui est une biographie, un essai, une étude historique et sociale des Lumières qui n’en finit pas de disposer des siècles qui vont suivre ; révélant ainsi, pas à pas, année par année, la silhouette de l’intellectuel moderne.