Itzhak Schipper, mort à Maïdanek en 1943, confiait à Alexandre Donat : « Tout ce que nous savons des peuples assassinés est ce que leurs assassins ont bien voulu en dire. Si nos assassins remportent la victoire, si ce sont eux qui écrivent l’histoire […] ils peuvent nous gommer de la mémoire du monde […]. Mais si c’est nous qui écrivons l’histoire de cette période de larmes et de sang – et je suis persuadé que nous le ferons – qui nous croira ? Personne ne voudra nous croire, parce que notre désastre est le désastre du monde civilisé dans sa totalité. »
Pour dire le désastre absolu qui frappe le peuple juif d’Europe, les poètes yiddish captent des fragments, des éclats de vérité. Ils sont soumis à un double impératif : l’impossibilité d’exprimer l’indicible qui se confond avec l’obligation de témoigner. Au ghetto, à Varsovie, à Vilno, à Lodz, à Cracovie, plus tard dans les camps, à Treblinka, à Auschwitz, avant la mort dans les chambres à gaz, on écrit dans l’urgence. S’arrachant au mutisme, une poétique du cri perce le silence du monde, sa surdité et sa cécité, pour l’obliger à entendre, à voir. Émotion et rigueur historique se conjuguent pour faire surgir la force poétique de ces innombrables textes sauvés de l’oubli.
Rachel Ertel nous restitue les voix d’une poésie de l’anéantissement : à notre tour, nous devenons « le témoin du témoin ».