Versailles, 1683. Louis XIV hausse les épaules lorsque son jeune cousin, Eugène de Savoie-Carignan, demande de pouvoir le servir dans ses armées. Eugène n’a rien d’un guerrier : il vient à peine de quitter le petit collet qui faisait
de lui un ecclésiastique, il n’a jamais porté l’épée, il est de plus bossu et rachitique. Quant à sa mère, Olympe Mancini, elle a été gravement compromise dans l’« affaire des poisons ».
Le Roi-Soleil vient pourtant de commettre l’une des plus funestes erreurs de son règne. Deux mois plus tard, Eugène est en Autriche. Il se met au service de l’empereur Léopold au moment où Vienne est assiégée par les Turcs. C’est le début d’une prodigieuse carrière d’un demi-siècle qui va faire de lui le généralissime des troupes impériales, le chef du Conseil de guerre, le gouverneur des Flandres et du Milanais et, surtout, le principal ennemi de Louis XIV. Toutes les pires défaites de la France jusqu’en 1710 seront le fruit de son génie tactique.
Eugène, qui n’aura pas de descendance, est par ailleurs un intellectuel, aussi bien philosophe que théologien, lié aux principaux artistes de son temps, constructeur de palais gigantesques et magnifiques, tels le Belvédère de Vienne ou, aux frontières de la Hongrie, le Schloss Hof qui évoque Versailles.
Une destinée éblouissante… mal connue en France pour cette simple et triviale raison qu’il fut notre ennemi et que nous n’aimons pas nous rappeler nos défaites, surtout lorsqu’elles nous sont infligées par un homme qui, comme Eugène, est né à Paris, en plein quartier des Halles.
Jean-Paul Desprat est historien et romancier. Il est, entre autres, l’auteur d’ouvrages sur les bâtards d’Henri IV, Mme de Maintenon, Mirabeau, ainsi que de romans historiques publiés au Seuil entre 2006 et 2016 : la saga Bleu de Sèvres, Jaune de Naples et Rouge de Paris ; et Les Princesses assassines.