Lettres « à ma mère », ou lettres « à sa mère » quand le recueil est le travail d’un biographe, ou encore « à leurs mères » si c’est une compilation : le courrier publié des anciens enfants à leur mère est abondant, et semble vouloir récuser l’idée de séparation. Ainsi Vincent Van Gogh écrit-il à une « maman de près de soixante-dix ans », avec une intimité non codée : « Le chagrin que nous éprouvons et éprouverons toujours d’une séparation et d’une perte est, me semble-t-il, instinctif ; sans lui nous ne pourrions nous résigner aux séparations, il nous aidera probablement plus tard à nous reconnaître l’un l’autre […] ».
C’est peut-être ce qui fait le ciment de ces lettres et les oppose à la fameuse lettre à son père de Franz Kafka : la « Lettre au père » a quelque chose de définitif, tous les anciens fils – et filles – de père peuvent y retrouver un père. En regard, quoi ? La perte et un doute terrible de ne savoir comment en dire le regret à la destinataire. S’il ne manque précisément pas de lettres à la mère sans complaisance ni concession, serait-ce qu’aucune n’a l’universalité de celle au père ?
L’amour sans limite que nous avons eu pour nos mères, en reste-t-il quelque chose quand les années et la haine, éventuellement, quand l’oubli, la déception, la lassitude et la souffrance, les jours anciens, la griffe ou la paix du deuil, quand le lointain et le trop immédiat s’en sont emparés ? On souhaiterait que ce numéro considère, sans trop de précautions, ce que sont nos mamans devenues…