La critique est depuis longtemps attentive à l'abondance des références érudites ou pseudo-érudites dans l'oeuvre de Jorge Luis Borges. Mais elle semble avoir moins remarqué que cette oeuvre fourmille également de citations cachées, dont certaines peuvent être des autocitations. C'est l'ensemble de ces pratiques qui est ici baptisé réécriture, et c'est sous l'égide de ce "possible concept" qu'est proposée une analyse de l'oeuvre borgésienne.
Les figures fameuses d'Héraclite et de Pierre Ménard, les jeux du fictionnel et de l'autobiographique, les réseaux labyrinthiques de textes, le remodelage incessant d'une production, l'archéologie d'une écriture, la vie même de Borges - telle que la réélaborent, en étrange complicité, l'écrivain et ses biographes -, tout s'ordonne sous un tel regard.
Ainsi, le malaise ou la fascination que provoque cette oeuvre, les miroitements énigmatiques du "borgésien" tiennent peut-être à cela : il n'est pas un geste de Borges qui ne dessine secrètement une trajectoire de réécrivain ; il n'est pas un lieu de l'écriture borgésienne qui ne soit emblématiquement une réécriture.