Ce livre fait partie d’une grande tentation et relève des domaines hantés : la mémoire et son flux incessant, les souvenirs, les images, l’oubli et ses emportements.
A l'origine, il y a ce que l'auteur a appelé le «Projet» (de toute une vie) que devait accompagner un roman immense et impossible, dont il entreprend de donner un écho luxuriant qui va, au fur et à mesure, dévorer l'entreprise, prendre sa place, peut-être pas. ' Le grand incendie de Londres', publié en 1989, avait pour but de raconter ce projet comme s'il était fictif. Dans l'esprit de l'auteur, ce livre était la « Branche un: Destruction», et devait servir de «toit» à l'édifice, «lui assurant ainsi l'ombre nécessaire à sa protection esthétique».
En voici aujourd'hui la «Branche deux: La Boucle». La prolifération du travail de la création, sans cesse commentée et exhibée, la diversification des biais par lesquels Roubaud nous convie au grand spectacle de l'arborescence littéraire, l'omniprésence de ces magnifiques «moments de prose» font de ce livre l'une des plus grandes tentatives qui soient. D'une image initiale de figuier (avec les «incises et bifurcations» de ses branches et leur tracé imprévisible) que Roubaud comparera plus loin à l'approche d'un noeud autoroutier près de Seattle, aux États-Unis, il fait l'emblème d'une sorte d'incroyable autobiographie, pas seulement celle de sa vie, de sa famille, de son enfance, des livres qu'il écrit, et des littératures qu'il lit, mais plus encore celle des moments mêmes de l'écriture, celle de l'entre-deux où arrivent les lecteurs, où les souvenirs déjà écrits, partis vers l'oubli, affluent encore et se mêlent aux nouveaux venus qui constitueront La Boucle. Et, alors, tandis que l'arbre se ramifie plus intensément que jamais, le Temps s'en vient jeter un coup d'oeil par-dessus l'épaule de l'auteur. Mais le Temps aussi est un arbre dont les rameaux parcourent l'espace bien au-delà de soi et, comme le dit Jacques Roubaud: «Il serait difficile, même pour un saint, de rêver d'avant sa naissance.» L'écrivain rêve qu'il écrit le rêve, c'est ça précisément son livre, et sa prose, et sa mémoire.