Après deux siècles d’affadissement, l’Absolu retrouve avec Luther son incandescence et sa vigueur sauvages. Puis Kant entreprend de dresser entre l’homme et l’Absolu une barrière protectrice, mais elle s’avère bientôt précaire et poreuse. Schiller fait de la réconciliation l’attribut majeur de l’Absolu, et installe celui-ci dans le passé et dans l’avenir ; nous pouvons donc nous en approcher par la mémoire et par l’espoir, mais cela ne suffit pas à sauver notre présent. Bravant les interdits de Kant, Höderlin s’élance comme un nouvel Icare au-devant de l’Absolu, et retombe foudroyé. Kleist au contraire respecte scrupuleusement la frontière tracée par Kant, mais il découvre qu’à l’intérieur de la contrée ainsi délimitée la vie est impossible, et il en tire les conséquences.
La morale de ces histoires est à la fois banale et désespérée : nous ne pouvons pas vivre avec l’Absolu, et nous ne pouvons pas vivre sans lui. Refuser le divertissement, s’établir dans cette contradiction et en accepter les effets, telle est alors la voie que nous enseigne, pour le meilleur et pour le pire, cette « passion allemande ».