Arraché à son milieu, tout homme commence par souffrir : il est plus agréable de vivre parmi les siens. Mais par la suite, le dépaysement peut fonder une expérience profitable. Il permet de ne plus confondre le réel avec l’idéal ou la culture avec la nature. L’homme dépaysé, pour peu qu’il sache surmonter le ressentiment né du mépris ou de l’hostilité, découvrira la curiosité et pratiquera la tolérance. Sa présence parmi les « autochtones » exerce à son tour un effet dépaysant : en troublant les habitudes mentales, en déconcertant par sa conduite et ses jugements, il favorise l’étonnement, premier pas obligé dans toute découverte de soi.
Mon passage d’un pays à l’autre m’a enseigné tout à la fois le relatif et l’absolu. Le relatif, car je ne pouvais plus ignorer que tout ne devait pas se passer partout comme dans mon pays d’origine. L’absolu aussi, car le régime totalitaire dans lequel j’avais grandi pouvait me servir, en toute circonstance, d’étalon du mal. De là, sans doute, mon aversion simultanée pour le relativisme moral – tout se vaut – et le manichéisme du noir et du blanc.
T.T.