Elle survient dans un roman où elle n'était pas attendue et qui, de toute façon, n'était pas son genre. Elle va ensuite y prendre une place hors de proportion avec sa vocation première. Elle quittera pourtant la scène bien avant la fin. Mais le vaste intermède de ses amours avec le héros lui aura suffi pour infléchir le cours des choses, faire que son image irradie la fiction et invite le romancier à réajuster son point de vue sur l'univers social.
Elle, c'est Albertine Simonet, la "jeune fille en fleurs", la "prisonnière", la "fugitive". La critique a toujours ignoré son rôle, alors qu'elle figure dans un tiers du roman et que, entre la noblesse rayonnante des Guermantes et la bourgeoisie mesquine des Verdurin, elle introduit une troisième voie, celle d'une bourgeoisie ascendante, éprise de grand air, de sports, d'arts et de vitesse. La jeune femme annonce la fin d'un monde et oblige à une conception plus réaliste du social, à une sociologie désenchantée.
Mais ce livre n'est pas seulement un portrait sociologique — en parlant du style d'Albertine, de sa présence, toujours déroutante, Jacques Dubois nous propose de lire la biographie d'un personnage.
Professeur émérite de l’Université de Liège, Jacques Dubois est l’auteur d’une douzaine d’ouvrages, dont, au Seuil, Pour Albertine et Les Romanciers du réel. Il a également dirigé l’édition « Pléiade » en trois tomes des romans de Georges Simenon.