Comme le déchant accompagne le chant, deux voix - l'une « narrative », l'autre off - se mêlent ici et se tordent comme pampres autour du thyrse central d'un nom, ce qui, au bout du compte, pourrait bien avoir des allures de biographie: celle de Hart Crane, poète américain du début de ce siècle éperdu, dont les trente-trois années qu'il supporta ne furent pour lui qu'une épuisante succession d'exaltations et de fureurs, de rêves déraisonnables et de lancinants vertiges, à la seule fin de se recomposer un corps à « l'Ère des modernes ». Mais ses efforts furent vains et, à l'image de son Pont (The Bridge, 1930) inachevable, tout cela, pour finir, s'abîma dans les flots atlantiques.
Récit double d'une vie inapaisable, tout entière vouée à la démesure d'un projet fou, bribes et éclats, apartés et fragments épars, entés d'un témoignage imaginaire, cette construction rêveuse renvoie l'écho de la parole exténuée - mais, à plus d'un titre, exemplaire - d'un des rares absolutists in poetry, ainsi qu'il fut qualifié.
C’est comme si cet ange déçu que fut Hart Crane, depuis l’écrasant repos des abysses où il séjourne, voulait encore parler, mais en creux, cette fois, avec la formidable qualité d’absence de qui se sait le centre de cette tentative de reconstitution d’un itinéraire vers la lumière, tout parsemé de colères et d’extases, jusqu’au naufrage annoncé, et dont le rappel des faits se décline pour nous comme pure fiction.