«La mort était chez nous comme chez elle.
Elle a saisi mon père le 6 juin 1945, tout juste un an après le
Débarquement. Il avait quarante-neuf ans, je venais d'en avoir huit.
Au mois d'octobre précédent, elle avait déjà fauché mon frère aîné,
Marcel, qui avait vingt-deux ans. L'un puis l'autre furent victimes du
bacille de Koch, la tuberculose restant, à l'heure d'Hisroshima, la
grande pourvoyeuse des cimetières d'Europe. Il y a toujours des gens
qui meurent trop tôt. À quelques mois près, mettons un an ou deux,
ils étaient sauvés par l'arrivée en force des antibiotiques, du Rimifon et
tout ça. C'est comme ceux qui prennent les dernières balles de la
guerre, juste avant le coup de clairon de l'armistice.
"Papa est mort", m'a dit ma soeur Geneviève, en me tirant du lit.
Je ne suis pas sûr d'avoir éprouvé d'émotion. Je n'étais qu'un jeune barbare
occupé de ses billes et de ses soldats de plomb. Depuis des années,
du reste, mon père était lointain, épisodique, ballotté d'un sana à
l'autre. Je manquais de relations avec lui. De toute façon, il était pètesec
et sujet à de redoutables colères.»