« L’amour de mon grand-père pour la Suisse où nous passions nos vacances m’a toujours agacé. A ses yeux, c’était le pays le plus formidable au monde. Comme si le fait que la Suisse se soit tenue à l’écart de la seconde guerre mondiale lui permettait d’échapper à son histoire tragique de juif polonais. Nous, ce n’était pas une chape de plomb qui recouvrait notre passé mais un épais manteau blanc de neige immaculée : jamais mon grand-père ne parlait de ce qu’il avait vécu, jamais il n’aurait toléré que ma grand-mère le fasse.
Pour comprendre leur histoire, il m’a fallu aller à la rencontre d’autres juifs survivants, rescapés de l’enfer des camps d’extermination. A eux, j’ai osé poser les questions qui m’ont été si longtemps interdites : comment renouer avec le fil d’une existence interrompue dans une telle violence ? Comment se reconstruire quand tant des vôtres ont disparu ? Comment croire en l’avenir, à l’amour, en la descendance ? Comment vivre après ?
C’est en les regardant, en écoutant leur récit, en riant avec eux, même du pire, que j’ai enfin compris ce qui plaisait tant à mon grand-père en Suisse. »
V.L
Réalisatrice de documentaires historiques et politiques, Virginie Linhart a publié Le jour où mon père s’est tu (2008) et Volontaires pour l’usine. Vies d’établis 1967-1977 (rééd. 2010).