Quand il s’agit du don, les philosophes se veulent les plus généreux. Le seul vrai don à leurs yeux est le don sans retour. Toute réciprocité leur semble d’emblée complice de l’échange marchand.
Ce soupçon peut-il expliquer que depuis quelques décennies – en France notamment – se soit développée une pensée du don hantée par l’exigence du gratuit ? Et que cette pensée se soit souvent formulée dans une réflexion sur le monde comme « donné » selon une approche issue de la phénoménologie ? Cette démarche est-elle légitime ?
La réponse varie fortement selon qu’il s’agit de Derrida, Levinas, Henry ou Marion. Elle diffère plus encore chez Ricœur et chez des penseurs réfléchissant sur les sciences sociales comme Lefort et Descombes. Si le débat est souvent obscur, estime Marcel Hénaff, c’est que font défaut de nécessaires distinctions entre les divers types de don. Le don gracieux et le don solidaire ignorent l’exigence de réciprocité. Celle-ci au contraire s’impose au cœur du don cérémoniel qui est d’abord décision d’alliance : geste de reconnaissance publique mutuellement accordée, par quoi le lien social proprement humain s’affirme lien politique.
Marcel Hénaff est philosophe et anthropologue, professeur à l’université
de Californie à San Diego. Il est notamment l’auteur de Le Prix de la
vérité. Le don, l’argent, la philosophie (Seuil, 2002).