Le nom de Musil (1880-1942) est rattaché à L’Homme sans qualités, ce roman faisant tableau de la disparition d’une civilisation. Mais Robert Musil n’est ni l’homme d’un seul livre ni simplement le peintre du délitement d’un Empire austro-hongrois qu’il appela Cacanie. La poétesse Ingeborg Bachmann rappelait que l’écrivain avait voulu « faire bien plus qu’écrire un roman, bien plus que raconter l’histoire d’une Cacanie déclinante, et bien plus qu’élaborer une critique des idées de l’époque ». Musil pensait que des possibilités d’accomplissement ignorées s’offraient à l’homme, et il chercha à s’en approcher. Il y a une utopie musilienne, d’un grand potentiel subversif. Afin de la mettre au jour, cette biographie dresse le portrait d’un homme fascinant à maints égards, maître et serviteur de son œuvre jusqu’à l’oubli radical de soi ; elle restitue un itinéraire à cheval sur deux siècles, et retrace la genèse et la création de livres qui furent écrits envers et contre tout, à une époque de catastrophes.
Cet ouvrage invite à découvrir un homme dont le regard, d’une acuité inouïe, se révèle d’un précieux secours pour faire face à notre temps saturé de discours économiques et identitaires négateurs de toute idée d’accomplissement.
Frédéric Joly, né en 1973, a donné de nombreuses traductions d’auteurs de la première moitié du vingtième siècle (Georg Simmel et Walter Benjamin, notamment) comme d’auteurs contemporains.