C’est l’aptitude à apprendre une langue qui constitue un patrimoine commun à tous les membres de l’espèce humaine ; telle est l’idée fondamentale que je développe dans ce livre. La nature et la société sont souvent considérées comme antagoniques. Or, pour ce qui se rapporte aux langues, elles fonctionnent ensemble. […]
Si, de façon récurrente, les scientifiques négligent dans leur travail des faits évidents et faciles à observer, il y a tout lieu de penser que cette négligence a une raison. C’est en général le signe d’une lacune typique de leur démarche. La plupart du temps, les blocages sont dus à une anomalie intellectuelle fréquente chez les universitaires, et qu’on pourrait appeler academismus. Celle-ci se manifeste surtout par la projection du cloisonnement des départements universitaires, et des rivalités qui y sont liées, sur les différents domaines de recherche. […]
La civilisation de l’humanité est en soi un processus en cours et un possible horizon d’action. Rien dans les expériences actuelles et passées ne permet d’affirmer que l’humanisation de l’humanité est une tâche impossible, ni qu’elle est au contraire plus probable que la décivilisation. Ces deux perspectives sont aussi plausibles l’une que l’autre. Il est utile – indispensable, même – de s’atteler à faire émerger une connaissance plus factuelle des processus de civilisation et de décivilisation, ainsi que des conditions dans lesquelles on passe de l’un à l’autre (et vice versa).
Norbert Elias
Né en 1987, Norbert Elias est mort en 1990. C’est pour avoir expliqué la civilisation occidentale dans sa longue durée qu’il est aujourd’hui considéré comme l’un des grands sociologues du XXe siècle.