Exactement comme un drame se joue, on peut imaginer qu'un roman s'écrit sous les yeux d'un lecteur.
Le mot drame est ici employé dans son sens le plus ancien, non pas celui d'"action" - encore moins celui d'intrigue psychologique - mais plutôt celui d'"histoire", d'"événement". Nous sommes donc, à présent, sur la scène de la parole. Celle-ci se dédouble, à la fois intérieure et extérieure, alternativement confiée à un choeur (représenté par le pronom "il") et à l'individu (désigné par "je"), autrement dit tantôt à la nécessité tantôt à l'activité. La lecture se développe ainsi sur deux plans, chacundevenant la cause maus aussi l'effet et la réflexion de l'autre, spectacle muet et rapide où deux discours se croisent, se coupent, se contestent et s'entraînent mutuellement.
Ici, sur le papier, dans et entre les mots, la perception, le rêve, le sommeil, la veille, l'érotisme, la mort, le "réel" etc. sont donnés comme équivalents dans leurs transformations réciproques. Epopée cyclique dont les sujets, les héros anonymes (ou grammaticaux) essaieraient de vivre complètement une présence illimitée, sans cesse à l'état naissant. S'il y a récit, il raconte au fond comment une langue (une syntaxe) se cherche, s'invente, se fait à la fois émettrice et réceptrice - expérience de la vilence vivante qu'il y a à parler, à être parlé.
Le livre est composé de soixantre-quatre "chants" inégaux - que l'on peut malgré tout rapprocher des soixante-quatre cases noires et blanches du jeu d'échecs. On sait que cette division représente, pour un joueur, le temps projeté en espace. De même, les fragments s'enchaînant ici par l'écriture voudraient dévoiler une projection immédiate de la pensée dans le langage qui cependant la comprend.