NUMERO DIRIGÉ
PAR CHRISTIAN BIET ET SYLVIE ROQUES
La « forme performance », dans sa définition initiale, peut être conçue comme « art action » qui se joue des frontières et des normes. Sa singularité tient tant à sa « non-répétitivité » qu’à la mise en avant du corps comme élément spectaculaire et déterminant. Cette forme artistique dont l’origine est l’objet de discussions contradictoires naît dans un contexte particulier : celui de la contestation globale de la société occidentale dans l’après Seconde Guerre mondiale.
Initialement c’est l’éphémère qui la caractérise au même titre que tous les arts vivants. De nos jours les repères ont bougé. Le contenu d’une telle manifestation s’est diversifié et Il s’impose toujours davantage dans l’univers culturel. Sa pratique est conçue tout spécialement aux États-Unis comme étant en rupture avec la tradition du texte. Elle s’est aussi imposée en art autonome. Elle a permis aux artistes comme aux critiques d’art de considérer le spectacle comme un jeu éphémère des espaces, du temps et des corps dans un lieu partagé avec des spectateurs. Le geste y prime sur le mot, l’acte sur le commentaire. Cette manifestation artistique déborde alors son acception d’origine pour exprimer un acte réalisé dans toute son acception physique, effectué dans le cadre d’un lieu spécifiquement conçu pour être observé. C’est une acception large du phénomène qui est prise en considération dans ce numéro. Il y est « montré » dans ses manifestations les plus concrètes. Il y est aussi analysé selon les ressources des sciences humaines. À l’instar de Richard Schechner, qui distingue being (l’existence d’un corps et d’une chose en elle-même) et doing (l’activité de cette chose et de ce corps qui existent), la performance est conçue alors comme « showing doing » révélant son processus interne se déroulant sous nos yeux. Sont prises en compte non seulement les œuvres artistiques ou les rituels mais aussi toutes les actions quotidiennes comme les actions sportives ou religieuses ainsi que des contextes ou situations particulières. Cet élargissement extrême et actuel du phénomène « performance » ou du performatif est largement décrit dans ces textes, autant qu’il est soumis à échanges et débats. La parole des performers, dont les plus reconnus, vient par ailleurs ajouter les éclairages complémentaires et concrets, indispensables à la compréhension du phénomène.
L’ensemble comporte ainsi nombre de réflexions permettant de comprendre l’évolution de ces pratiques, leurs enjeux, leur situation actuelle. Les exemples s’y multiplient autant que les critiques, les évaluations, les débats. Ce qui fait de ce numéro un bilan sur la performance dans notre culture, dont n’existe pas d’équivalent.
Présentation
Bruno Péquignot
De la performance dans les arts 9
Christian Biet
Pour une extension du domaine de la performance (XVIIe-XXIe siècle) 21
Sophie Houdard
La possession de Loudun (1632-1637) 37
Rafael Mandressi
Le corps des savants 51
Itzhak Goldberg
Installations-Happenings, liaisons dangereuses ? 67
Bernard Müller
Le terrain : un théâtre anthropologique 75
Sylvie Roques, Georges Vigarello
La fascination de la peau 85
David Le Breton
Body Art : la blessure comme oeuvre chez Gina Pane 99
Antonio A. Casilli
Le Web des troubles alimentaires. Un nouvel art de jeûner ? 111
Richard Schechner
Les « points de contact » entre anthropologie et performance 125
Richard Sherwin
Présences et simulacres sur scène et au tribunal 147
Isabelle Barbéris
Jerk, de Gisèle Vienne et Jonathan Capdevielle 159
Julie Perrin
Le nu féminin en mouvement 173
Joseph Danan
Écriture dramatique et performance 183
Guy Spielmann
L'« événement-spectacle » 193
Josette Féral
De la performance à la performativité 205
ORLAN
Les préjugés ébranlés par l'Art-Action 219
Éric Duyckaerts
Les « conférences-performances » 231
Yann Marussich
Voyage(s) dans l'immobilité 239
Vincent Barras
Parole performée 253
Jan Fabre
S'entraîner à disparaître 263
Jean-Marie Pradier
La performance ou la renaissance de l'action 277