Qu’est-ce qu’une réputation ? Pourquoi l’opinion des autres influence-t-elle nos actions et nos jugements ? Quel est le poids des leurs évaluations dans notre accès à l’information et comment en tenir compte d’une façon raisonnée ? Comment éviter les gossips (commérages) et la manipulation ? Le regard des autres, leurs estimations, nous accompagnent dans notre quotidien lorsqu’il s’agit de structurer notre identité, de prendre des décisions, de choisir un produit ou de prendre position sur l’actualité. Sans cette rétroaction permanente de ce qu'ils pensent sur nos jugements, notre vie mentale serait peu différente de celle des animaux. À la différence du comportement rationnel et intéressé - si cher aux modèles de la rationalité classique - qui est une attitude partagée avec bien d’autres espèces, la marque de l’humain semble résider dans sa capacité à prendre en compte les jugements dans ses propres pensées et à être en constante quête de réassurance sur ce que les autres pensent de lui.
La réputation est omniprésente dans notre vie sociale, morale et cognitive, pourtant elle reste un concept difficile à saisir : est-elle mesurable ? Est-elle objectivable ? Le fait de se fier à la réputation nous condamne-t-il à une vision biaisée et subjective de la réalité ?
Exclue des sciences sociales comme reliquat des valeurs d’un monde prémoderne, la réputation s’impose aujourd’hui comme une notion fondamentale pour expliquer les conséquences du jeu des opinions sur le comportement collectif.
En économie, elle est indispensable pour expliquer les conséquences des asymétries informationnelles sur les marchés. En sociologie, elle revient en force pour rendre compte des phénomènes de visibilité. Dans la théorie des jeux stratégiques, la réputation est aujourd’hui une notion clé pour expliquer en termes rationnels l’altruisme. Dans le domaine des relations internationales, on s’interroge sur le rôle de la réputation dans les confrontations entre états. L’usage d’indicateurs, tels les systèmes de notation financière, les classements, et toutes les nouvelles techniques de gouvernance, met la question de la réputation au centre de l’analyse politique. En philosophie morale, la réputation apparaît comme justification du comportement désintéressé, et en psychologie elle est au fondement de la notion même de « caractère » en permettant d’expliquer le développement des émotions sociales comme la honte et l’embarras. Pour finir, le Web et les réseaux sociaux font de la réputation une véritable nouvelle « monnaie » d’échange et un outil puissant d’extraction de l’information. En somme, la réputation semble envahir notre vie d’acteurs sociaux et demande à être repensée, au-delà de sa simple valeur d’étiquette sociale, comme dimension constitutive de notre relation aux autres et au monde.
NUMÉRO DIRIGÉ PAR GLORIA ORIGGI
Gloria Origgi
Présentation
Nicolas Baumard et Dan Sperber
Morale et réputation dans une perspective évolutionniste
Jon Elster
Réputation et caractère
Barbara Carnevali
« Glory »
Philippe Rochat
Comment la honte vient aux enfants ?
Nicholas Emler
La réputation comme instrument social
Gloria Origgi
Un certain regard
Lucien Karpik
Réalité marchande et réputation
Pierre Marie Chauvin
La sociologie des réputations
Pierre-Michel Menger
Valeurs incertaines, marché aux puces, ventes en ligne :
Comment s'assurer de la qualité?
Dominique Cardon
Du lien au like sur Internet
Ariel Colonomos
La notation financière de Etats
Jean-Pierre Cavaillé
Diffamation imprimée et renommée d’auteur :
le cas Dassoucy au 17ème siècle