« Jamais sans doute, la société française n’a été à ce point l’objet d’investigations mais la multiplication des formes de spécialisation ou de professionnalisation, et la difficulté des sociologues et des anthropologues à dégager des bases communes disciplinaires rendent de plus en plus problématiques la critique et l’usage des connaissances produites. Ce numéro de Communications s’attache à interroger les pratiques de recherche en se centrant sur la posture du chercheur en sciences sociales à travers trois caractéristiques majeures : sa subjectivité, les formes de son engagement et son rapport au politique.
Le terme “posture” désigne ici la position que le chercheur occupe par rapport à ses objets de recherche, à ses interlocuteurs, à son terrain de recherche, et aussi à ses pairs et aux institutions qui structurent son activité. On rentre dans le monde de la recherche avec des attaches biographiques, géographiques, des appartenances sociales et culturelles qui vont peser sur le processus qui constituera le chercheur en sujet autonome inscrit dans un contexte et une histoire. Par conséquent, la posture du chercheur renvoie à un ensemble particulièrement massif d’éléments d’ordres matériels, subjectifs et structurels par lesquels il se trouve immergé et engagé dans le social. La pluralité des attaches du chercheur, les dimensions subjectives qui entrent dans le choix des objets de recherche et des méthodes ont longtemps été passées sous silence par les chercheurs eux-mêmes. Or la diversité et la fécondité de la recherche tiennent à la pluralité de ces postures et de ces cheminements dont on trouvera l’illustration dans ces contributions. Nous sommes partis du point de vue qu’on ne pouvait imaginer qu’un chercheur choisisse de traiter d’un sujet indépendamment de sa biographie, de ses préoccupations personnelles et des enjeux de l’époque. Nous avons ainsi considéré que le choix des objets de recherches relevait à la fois de la “petite” histoire propre au chercheur et de la “grande” histoire dans laquelle il est immergé.
On peut alors se demander si la fécondité de la recherche ne tient pas à la pluralité des postures et des cheminements ainsi qu’à la diversité des façons d’entrelacer la petite histoire et la grande Histoire comme l’illustrent les contributions ici rassemblées. »
NUMÉRO DIRIGÉ PAR PIERRE ALPHANDÉRY ET SOPHIE BOBBÉ
Pierre Alphandéry, Sophie Bobbé
La recherche au subjectif imparfait
Alain Bertho
Les mots et les pouvoirs
Geneviève Decrop
Temps de crise et temps ordinaire
Sophie Wahnich
Désir d’histoire
Michel Dreyfus
Un historien et ses doutes
Yves Dupont
Entre arrachement et attachement à la terre
Sergio Dalla Bernardina
Les confessions d’un traître
Isabelle Arpin
Une expérience grandeur nature
Sophie Bobbé
L’« autre » de l’ethnologue
Emmanuel Terray
Logique militante et logique de la recherche
Alban Bensa
Un ethnologue en Nouvelle-Calédonie