Pouvoirs de l’horreur
Pourquoi l’abjection ? Pourquoi y a-t-il ce « quelque chose » qui n’est ni sujet ni objet, mais qui, sans cesse, revient, révulse, fascine ? Ce n’est pas de la névrose. On l’entrevoit dans la phobie, la psychose. Il s’agit d’une explosion que Freud a touchée mais peut-être aussi évitée, et que la psychanalyse devrait être de plus en plus pressée d’entendre. Car l’histoire et la société nous l’imposent. Dans l’horreur. Les rites, les religions, l’art ne feraient-ils rien d’autre que de conjurer l’abjection ? D’où l’étrange révélation de la littérature : Dostoïevski, Lautréamont, Proust, Artaud et, de façon très symptomatique, Céline. Le voici maintenant, cet habitant des frontières, sans désir ni lieu propres, errant, douleur et rire mélangés, rôdeur écœuré dans un monde immonde. C’est le sujet de l’abjection.
Julia Kristeva
Linguiste, sémiologue, psychanalyste, elle est professeur émérite de l’université Paris VII-Diderot. Elle a notamment publié Le Langage, cet inconnu (Seuil, 1981) et Pulsions du temps (Fayard, 2013).