Cargaison. Le «cargo» est l'image même du transport des marchandises : hiéroglyphe navigateur qui couvre aussi bien le déplacement des marchandises (leur transport d'un pays à un autre, d'une civilisation à une autre) que leur exaltation (ainsi d'un fétiche archaïque devenant objet d'art, puis pièce de collection, avant son dernier «transport» dans la vitrine d'un musée).
Désigner ainsi la «cargaison», c'est dire surtout que nous sommes sans doute en train de vivre une crise très large de l'objet, de tout objet : l'aura de l'objet magique initial - cela vaut autant pour l'idole, l'icône, le tableau, l'épreuve photographique, etc. - se perd ou s'augmente, au profit, par exemple, de l'idée de «sublime», dans le cas du passage, autre exemple, du cultuel à l'artistique. Mais on peut se demander, pareillement, ce que fait le «kitsch» d'un objet populaire, ou ce que devient un objet usuel (une boîte de soupe Campbell ou la photo de Marilyn Monroe) quand un artiste comme Warhol s'en empare : que signifie le mythe qui en résulte, le ready-made qui en est fait, l'effet de désastre magnifié qu'on éprouve à le voir dans un musée ou représenté - contretype ad infinitum du prototype initial ? Walter Benjamin rêvait sur l'«aura» de l'objet unique, Malraux dissertait sur la multiplication infinie de l'art. Remo Guidieri, s'interrogeant sur ce «musée de l'homme» que nous sommes tous en train de devenir, notre esprit cramoisi d'images, tente de tracer des échappées possibles, jusqu'à poser comme nécessaire l'invention d'une grande métaphore qui laisserait enfin les cargos sur le sable...