Il est désormais de tradition, au Seuil, que tous les
éditeurs, par roulement hebdomadaire, feuillettent la
totalité des arrivages de la semaine pour une présélection
qui permettra aux autres lecteurs de lire intégralement
les manuscrits retenus. Lorsque ce fut mon tour,
mon attention a été attirée par un texte qui m'est immédiatement
apparu comme une lettre qui m'aurait été
adressée, une confidence intime, forte, structurée, sur
une vie sentimentale tourmentée, sur des inquiétudes
professionnelles concernant un monde qui m'était familier,
le théâtre, autour d'une question qui a défrayé la
chronique, celle des intermittents du spectacle. Cette vie
sentimentale était racontée directement, sans détours
inutiles, sans masques. Un homme commençait à se
détacher de son amant et à en aimer un autre. Mais,
comme son engagement politique, ses intermittences
du coeur étaient accompagnées d'humour, de lucidité
légère, tendrement ironique. Sujet et objet d'amour,
Brice va et vient entre Mathieu et Pierre. On sentait que
l'auteur se demandait, lui qui était habitué à chercher la
lumière des projecteurs ou l'oeil de la caméra, lui qui
n'hésitait pas à prendre la parole à la fin des spectacles
pour défendre sa corporation ni même à s'exprimer
dans les journaux, s'il avait bien le droit de parler en son
nom propre, de l'amour, du désir, du théâtre, de la vanité,
de l'amour-propre, de ses lectures, bref de tout le tissu
d'une vie sensible. Je n'ai pas pu, contrairement aux
règles du jeu du «feuilletage» de ces manuscrits qui
déferlent en trop grand nombre pour qu'on les lise
immédiatement tous, me détacher de ce livre. J'ai quitté
la salle commune, je me suis enfermé dans mon bureau,
j'ai emporté chez moi le manuscrit. Je l'ai terminé dans
la nuit. C'était un livre. Une voix était là qui me parlait et
qui allait parler à d'autres. Une voix sincère, juste, de
quelqu'un qui pour une fois écrirait lui-même son rôle. Et
quand, collectivement, nous avons décidé de reprendre
le flambeau de Jean Cayrol, en ressuscitant la collection
«Écrire», il nous a semblé qu'Après le spectacle y avait
sa place naturelle.
René de Ceccatty