Tels sont l’étrangeté et le paradoxe du « droit à la vie » aujourd’hui : bien davantage qu’un énoncé, une formule, il apparaît comme une force qui va et dont rien ne semble pouvoir arrêter l’expansion. Il couvre les domaines les plus variés, la santé, la procréation, l’ingénierie du vivant, la protection de l’enfance, la lutte contre la torture, la peine de mort, l’esclavage… Plus ce syntagme semble s’imposer comme une norme universelle et tous usages, plus il apparaît comme cette puissance qui soumet les pratiques humaines à ses conditions, et plus se multiplient les angles morts, les zones d’ombre, les « espaces autres » : là où ce n’est pas le « droit à la vie » qui règle les conduites et informe les sensibilités, mais une tout autre énergie ou pulsion, distinctement tournée, elle, vers la mort.
Alain Brossat