La révolution numérique est au cœur des mutations que connaît aujourd’hui le travail. À tel point que certains y voient la cause principale de la précarisation de l’emploi et dénoncent l’« ubérisation » de l’économie, qui annoncerait la fin du salariat, voire celle du travail lui-même.
Cette lecture ne perçoit qu’une partie du problème. Elle ignore en effet une autre révolution silencieuse actuellement à l’œuvre : la recherche par les individus de nouveaux rapports au travail. De plus en plus d’hommes et de femmes souhaitent gagner en autonomie, se singulariser, valoriser leur réputation, se réaliser dans ce qu’ils font. Le numérique leur fournit la possibilité de rapprocher leur travail et leurs passions, de mobiliser leurs ressources personnelles pour inventer des formes d’activités à travers lesquelles ils puissent se définir. En analysant les tentatives qui se font jour de travailler autrement, cet ouvrage montre comment se substitue à la longue tradition de l’autre travail, anciennement confiné dans l’espace domestique ou celui du voisinage, un travail ouvert, court-circuitant l’organisation des professions et associant l’économie collaborative marchande à l’économie du partage non marchande.
Si ces utopies pratiques nécessitent de repenser le compromis social sur des bases renouvelées pour garantir à tous les mêmes droits, les voies d’émancipation qu’elles inspirent redéfinissent entièrement la question du travail : l’enjeu n’est plus désormais de s’en libérer, mais de le libérer.
Patrice Flichy est professeur émérite de sociologie à l’université de Paris Est-Marne-la-Vallée. Il a notamment publié L’Imaginaire d’Internet (La Découverte, 2001) et Le Sacre de l’amateur (La république des idées/Seuil, 2010). Il dirige la revue Réseaux.