Jacques Derrida déploie ici les éléments d’une réflexion profondément originale sur l’inconditionnalité du pardon, une notion qui ne saurait être confondue avec l’excuse, l’amnistie, la prescription ou la grâce. Si le pardon est hérité de diverses traditions (judéo-chrétienne, coranique et grecque), il ne leur est pas réductible : il excède par exemple les modalités du « comprendre », de la mémoire et de l’oubli, d’un certain travail de deuil aussi. Hétérogène à la phénoménalité, à la théâtralisation, voire au langage verbal lui-même, il suspend, comme une « violente tempête » (Benjamin), l’histoire, le droit et le politique.
Inconditionnel, le pardon fait l’épreuve de l’impossible : c’est pourquoi il doit rester exceptionnel, sans calcul ni finalité, à l’écart de tout échange et de toute transaction. La trajectoire ainsi dessinée par Derrida tout au long de ce passionnant séminaire passe par la lecture des ouvrages de Jankélévitch sur le pardon et l’imprescriptibilité, de Kant sur le droit de grâce, des textes bibliques et grecs, d’œuvres littéraires (Shakespeare, Kierkegaard, Baudelaire, Kafka, Rousseau et Augustin), ainsi que par l’analyse de scènes d’aveu et de repentir telles qu’elles se sont multipliées dans l’espace public, en France et ailleurs, à la fin des années quatre-vingt-dix (procès de Maurice Papon, fin de l’Apartheid en Afrique du Sud, excuse publique du président de la République allemande à propos du massacre de Guernica, etc.).
Ginette Michaud et Nicholas Cotton ont assuré l’établissement du texte.
Ce premier volume du Séminaire Le Parjure et le Pardon s’inscrit dans la série « Questions de responsabilité » donnée par Jacques Derrida à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de 1991 à 2003. Après les thèmes du secret, du témoignage et de l’hospitalité, Derrida aborde en 1997-1998 la notion du parjure en liant cette expérience du reniement et du mal à celle du pardon.