Nous sommes dans l'Amérique profonde, une sorte d'Arkansas rêvé, à la fois mythique et débonnaire, lyrique et trivial, où John Hawkes installe ses séquences successives dans le plus pur style des romans picaresques anglais du XVIIIe siècle. Mais ce n'est pas un homme truculent qui nous raconte sa vie, c'est un cheval, Guilledou, pur-sang perdu, ex-étalon, qui connut la gloire et les amours, la déchéance, la folie et la violence des hommes, le vertige des fuites et des batailles. Guilledou raconte tout, et dans le même ton que les hommes : il est splendide avec les grands éleveurs, beau quand les paysages s'y prêtent, en harmonie parfaite avec la langue de Hawkes, baroque dans les tourments, hâbleur avec les Irlandais, primesautier avec les jeunes filles, dangereux avec les zonards ; il pousse même la délicatesse romanesque jusqu'à changer de nom quand ses différents propriétaires le lui imposent, acceptant fort benoîtement de s'appeler - par exemple - Pétrarque !
A coup sûr l'une des grandes créations romanesques de John Hawkes, l'Autobiographie d'un cheval montre l'étonnante variété stylistique de l'auteur, sa science des sinuosités musicales, la virtuosité des «ralentis» narratifs, son côté blagueur irlandais, la sensualité du récit. Mais avant tout, ce qui court ici, que ce soit l'amble ou le galop, dans l'air frais du matin ou la poussière chaude du désert, c'est la tendresse et l'amour pour l'humaine, trop humaine condition d'un cheval libre et vieillissant.