Nouveau nom ? Kolkata. Nom d’origine ? Calcutta. Civilité ? Incertaine. Nationalité ? Double : anglaise, indienne. Date de naissance ? 1690. Vous voyez, j’ai l’air décatie au premier regard, je m’effrite, je m’étouffe, personne au monde n’a l’air plus vieille que moi. Mais trois cent cinquante ans, ce n’est pas considérable pour une mégapole !
En vérité, je relève officiellement de la communauté des Anglo-Indiens, privée de subsides depuis 1960. Pour en être, il faut avoir au moins un ancêtre mâle britannique. On remarque tout de suite la subtilité de la définition. La Britannitude passe exclusivement par l’homme, alors même qu’au beau milieu de mon ventre se dresse l’énorme statue de l’énorme reine Victoria, petite tête sur jupes écrasantes, bouche de veuve amère et couronne posée sur une coiffe de dentelles. Il ne faut rien croire de ce qu’on dit de moi. Calcutta, grouillante misère du monde, Calcutta bidonville, Calcutta déchet puant de l’humanité, Calcutta qui rend raciste n’importe quel Blanc en vingt-quatre heures, ce fut écrit et publié. Par des Blancs.
Si je suis utile au vaste monde, c’est à cause du compliqué. Avec moi, rien n’est simple. Je suis anglo-indienne et communiste, maoïste et nationaliste, violemment révolutionnaire et mystique, dense et mutine, nazie et libertaire, je m’appelle Contradiction.