Au début de ce siècle, les atomes ont enfin conquis droit de cité à l'intérieur de la physique. Leur foule désordonnée, les évènements multiples dont ils sont les acteurs, renvoient aux apparences les lois classiques de la physique. Le monde s'est peuplé et le peuple des atomes semble rebelle à la loi. Et pourtant, quelques années plus tard, ce peuple rebelle est devenu silencieux. La loi règne à nouveau, et elle descend en ligne directe de la plus étonnante des créations de la physique mathématique, la mécanique quantique. Moment de triomphe ou moment de désarroi ? Car tout se passe comme si, soudain, les physiciens avaient perdu l'accès à ce qu'ils appelaient réalité, comme si tout savoir portant sur cette réalité devait être reconnu comme irrémédiablement factice. La loi règne, certes, mais dans le silence, une coupure infranchissable venant, semble-t-il séparer le langage que nous devons utiliser pour décrire la réalité et la vérité indicible de cette réalité. Le réel est voilé. La tragédie de la mécanique quantique a fait l'objet de mille et une controverses qui semblent témoigner que la physique, ici, est confrontée à des questions proprement philosophiques : la réalité est-elle connaissable ? Voire, " existe-t-elle-en soi " ? Mais une autre hypothèse peut être proposée, qui permettrait de transformer en comédie non dénuée d'humour l'ironie tragique d'un rêve dont l'accomplissement final entraîne la destruction. Car les questions d'apparence philosophique et le renoncement ascétique auxquels la mécanique quantique semble appeler les physiciens traduisent peut être d'abord et avant tout les moyens que ceux-ci ont utilisés pour faire le monde événementiel et tumultueux dont ils avaient gagné l'accès, pour transmuter en harmonie mathématique le bruit des atomes.