Héritier des goguettes, ces débits de boisson où l'on chantait en chœur, le café-concert a célébré 1848 à sa façon. Tandis qu'une Révolution annonce la Deuxième République, dans de nombreux cafés une révolution s’organise en instaurant une conception de la chanson qui a toujours cours aujourd’hui. En peu de temps, elle devient un produit, et le chanteur, le compositeur, le parolier, ont des statuts de professionnels. Du Bon roi Dagobertà Ne pleure pas Jeannette, les rengaines n’ont pas manqué mais c’est avec le café-concert que la chanson dite populaire est née, illustrée pendant soixante-dix ans par des Thérésa et des Aristide Bruant, des Yvette Guilbert et des Félix Mayol.
Très vite, les enseignes se multiplient, aussi bien dans les quartiers ouvriers que dans les quartiers bourgeois, chacun ayant son répertoire et son décor. Le Caf’Conc’ devient une sorte d’industrie, avec ses directeurs, ses artistes, la vente des partitions, la création de produits dérivés, le débit des consommations, leurs prix et leur succès – la popularité de la bière doit beaucoup aux cafés-concerts. Ils ont en même temps d’autres effets, comme l’apparition des idoles et de leurs fan’s. En donnant, avec des chansons aux sujets sociaux et politiques, une nouvelle et large audience à la critique du Pouvoir, le café-concert n’est pas sans influence sur la vie de la cité, ce qui entraîne un regain de la censure. Par son succès et son extension en province, il a aussi son rôle dans l’économie par les milliers d’emplois qu’il génère.
A l’orée du XXe siècle, suivant la mode anglaise, le café-concert cède sa renommée, ses vedettes et ses lieux au music-hall. Né avec une Révolution, il connaît sa fin avec celle d’une guerre. 1848-1918. Soixante-dix ans d’une carrière qui fait de la chanson plus qu’une chansonnette.
Auteur de romans, d’essais, de biographies et de pamphlets, Pierre-Robert Leclercq a obtenu le prix Radio de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques pour l’ensemble de son œuvre de fictions radiophoniques. Il collabore comme critique et chroniqueur à la revue Service Littéraire.