Il y a les libraires qui lisent le jour dans leur magasin et ceux qui lisent la nuit dans leur lit. Les premiers sont comme des barmen qui boivent leur fonds au comptoir, les seconds s'offrent leur bonheur quand il est déjà demain. À l'heure où les honnêtes gens dorment sous la couette, le bon libraire s'adonne à son " vice impuni ", la lecture. Il entre enfin dans un monde qu'il s'est contenté de côtoyer dès le réveil. Depuis l'aube, il a feuilleté des ouvrages par centaines, il a déménagé des livres par milliers. Il en a proposé, on lui en a présenté. Des clients en ont signalé d'intéressants, les représentants annoncé d'excellents, ses collaborateurs décelé d'exceptionnels. Il a lu des notices, des bios, des pubs, des éditos, parcouru des articles, des chroniques, des quatrièmes de couv'. Le livre a peuplé sa journée, ponctué son temps, jalonné son quotidien, balisé tous ses gestes. Les bons jours, il se dit que bientôt il sera " ELECTRE " ; les moins bons, qu'à raison d'une nouveauté publiée toutes les quinze minutes, il ne peut que perdre pied ; les mauvais, il songe que 80 % des livres qui feront la une dans deux ans ne sont pas encore écrits.
Les souvenirs d'un homme dont la vie s'est confondue avec sa passion pour son métier de libraire.