Du XVIIe siècle au milieu du XXe, Londres voit s'installer des vagues successives de Juifs immigrés après trois siècles de bannissement : sépharades chassés d'Espagne et du Portugal par l'Inquisition, puis ashkénazes d'Europe centrale et orientale poussés à l'exil par de sanglants pogroms. L'East End, le quartier de Whitechapel fut, pour la plupart, à la fois le point d'arrivée et le point de départ vers une vie nouvelle. Aujourd'hui il ne subsiste rien de ce lacis de rues pittoresques et misérables qui grouillaient de toutes les activités d'un peuple, hormis la saga qu'Israël Zangwill, lui-même enfant du Ghetto, nous laisse en témoignage unique d'un monde disparu.
L'immense succès des Enfants du Ghetto (1892) valut à son auteur le surnom de Dickens juif. Rires et larmes, comique et tragique, satire féroce et tendre empathie accompagnent notre immersion au sein d'une foule de personnages intensément vivants, forts d'une étonnante vitalité dans l'adversité : petites gens, parvenus, bourgeois petits, moyens et grands et certains types traditionnels du folklore juif : le schnorrer (le mendiant), le shadh'en (le marieur), le shlemihl (le pauvre type), le bouffon. Tous sont confrontés dans leur vie la plus quotidienne aux choix qui s'imposent aux immigrés : fidélité à leurs traditions culturelles, religieuses, linguistiques, culinaires, volonté d'adaptation à la société dominante, tout en navigant — au prix de quelles concessions, de quelles trahisons, de quels enthousiasmes — entre déracinement et enracinement, entre une identité transmise et une identité à construire.