Mallarmé, dans le tombeau littéraire qu'il lui consacra, présentait Villiers de L’Isle-Adam, l’un de ses meilleurs amis, comme «un homme au rêve habitué». Cette amitié se doublait par ailleurs d’une grande admiration, que partagèrent Baudelaire, Vallès, Banville, Courbet, Monet, qu’il connut et fréquenta. Natif de Saint-Brieuc, Villiers de l’Isle-Adam (1838-1889) appartenait à l’une des familles les plus anciennes et les plus illustres de l’armorial français, ruinée par la Révolution, qui ne put lui offrir qu’une modeste condition. Cependant, au début de 1855, persuadée de son génie, elle réalisa tous ses biens pour l’accompagner à Paris et lui permettre de tenter la gloire. Ses premières poésies ne recueillirent aucun succès, ce qui le conduisit à les rebaptiser plus tard Les Sillons stériles. Ce premier échec, qu’on peut penser lié à la jeunesse ou à un air du temps qu’il ne sut percer, allait le poursuivre sa vie durant. Bernard Noël écrira que «l’échec s’attachait à Villiers, l’obligeait à s’en tenir à son monde intérieur et à creuser en lui toujours plus loin». Celui qui désira «écrire une série d’œuvres où le rêve se baserait sur la logique», qui eut de profondes affinités avec Poe et Hegel, son seul maître, donna à la littérature française quelques-uns de ses grands chef-d’œuvres, tel son Eve future ou L’Amour suprême.
C’est ce destin, fait d’une quête désabusée, désespérée et sublime, que Jean-Paul Bourre, après un essai remarqué sur Nerval, s’attache à suivre, rentrant véritablement dans la peau de l’écrivain. Entre biographie et essai, il s’attache, en écrivain, à la vie et à l’Œuvre de Villiers comme à celles d’un frère d’armes. Dans une langue d’une rare tension, il retrace la généalogie croisée de la vie et de l’œuvre de l’auteur d’Axël, voyant en eux la réalisation d’un « drame faustien (…) élaboré déjà, dans les années d’enfance».