L’histoire universelle est remplie de complots réels, qui ont abouti ou échoué. Mais elle est aussi pleine de complots fictifs ou imaginaires attribués à des minorités actives (francs-maçons, jésuites, Juifs, lobbies) ou aux autorités en place (gouvernements, services secrets, etc.). Ces entités, supposées maléfiques et dotées de très grands pouvoirs, sont des objets de croyances collectives depuis plus de deux siècles. Les schémas anciens, qui ont beaucoup servi au xxe siècle, ne cessent d’être réinvestis : ils traduisent un état psycho-social qui mérite d’être observé et analysé.
Dans un monde de fortes incertitudes et de peurs, où l’adhésion aux « grands récits » a faibli, la multiplication des représentations ou des récits conspirationnistes, ainsi que leur diffusion rapide et leur banalisation, est un phénomène remarquable, mais aisément explicable : ces récits, si délirants puissent-ils paraître, présentent l’avantage de rendre lisibles les événements. Ils permettent ainsi d’échapper au spectacle terrifiant d’un monde chaotique dans lequel tout semble possible, à commencer par le pire. D’où l’engouement pour ces récits et leur succès public, marquant l’entrée dans un nouvel âge de la crédulité. Sous le regard conspirationniste, les coïncidences ne sont jamais fortuites, elles révèlent des connexions cachées et permettent de fabriquer des modèles explicatifs des événements. On y rencontre notamment le mythe répulsif du « Gouvernement mondial » occulte. Les cas fourmillent, du 11- Septembre à l’« affaire DSK », en passant par la dernière grande crise financière et la mort de Ben Laden…
Pierre-André Taguieff est philosophe, historien des idées et politologue, rattaché au Centre d’études politiques de Sciences Po (Paris). Il a publié de nombreux ouvrages, dont La Foire aux Illuminés (Mille et une nuits, 2005),L’Illusion populiste (Flammarion, 2007), La Judéophobie des Modernes (Odile Jacob, 2008), Le Nouveau National-Populisme (CNRS Éditions, 2012) et Wagner contre les Juifs (Berg International, 2012).