Phnom Penh a le tragique à fleur de peau, juste sous la douceur. On y chemine sur les strates d’une histoire qui rougeoie encore des braises d’une guerre pas si lointaine. La découverte dans un vieux palace d’une « carte spéciale pour les journalistes de passage » conduit le narrateur à ce passé.
Sur la photo d’identité rayonne le visage d’Elizabeth, jeune Américaine des Seventies. Des décennies plus tard, devenue une figure majeure des médias outre-Atlantique, elle offre au narrateur le fil rouge qui le mène vers l’univers oublié des correspondants de guerre au Cambodge – dans l’arrière-cour du conflit vietnamien. Un monde de routes poussiéreuses, écrasées de chaleur, où le danger – Viet Cong, Khmers rouges – peut surgir à chaque instant ; un monde en voie d’encerclement, où, dans la vibration des bombardements, les reporters sont observateurs et partie prenante du chaos ambiant.
Avec ses séductions nocturnes, le grand hôtel dont la presse étrangère a fait son repaire dans la capitale est un havre précaire : beaucoup de journalistes qui en partent disparaissent sur la route. Ils vont rejoindre les âmes errantes qui hantent la terre des Khmers, laissant leurs confrères sous l’emprise du pays et de la tragédie qui s’annonce.
Saisi comme en écho, le narrateur les regarde vivre, à retardement – manière d’emprunter une vie qui n’était pas la sienne…
Étrange nostalgie que celle d’un passé que l’on n’a pas vécu.
Neurobiologiste de formation, Jean-François Bouvet est éditorialiste au Point et auteur de nombreux ouvrages remarqués, dont Bébés à la carte (2017) et Le Camion et la Poupée. L’homme et la femme ont-ils un cerveau différent ? (2012).
Avec Havre de guerre, son premier récit qui se lit comme un roman, il donne libre cours à une tout autre passion – celle que suscite en lui le destin tourmenté d’un pays qui lui est cher, le Cambodge.