Scepticisme, dérision, causticité, lucidité, telles sont les vertus cardinales – ou les impardonnables travers – du père du Dictionnaire du Diable qui avait pour devise : " Rien n'a d'importance ". Redoutable et redouté journaliste, dictateur littéraire capable d'établir ou de torpiller une réputation, brillant satiriste – peut-être le meilleur depuis Voltaire – mais aussi poète et nouvelliste, Ambrose Bierce (1842-1914) doit sa place dans la littérature américaine à un remarquable talent de conteur d'histoires aussi noires qu'hallucinées.
De son vivant il fut affublé de quelques sobriquets : " Tout-puissant Dieu Bierce " ou " Bierce l'amer " ou même " Le diable hilare ", comme devait le surnommer un pasteur de San Francisco. Il faut reconnaître qu'il ne les avait pas volés... à toujours faire flèche de tout bois et soucieux comme il était de tirer sans relâche sur tout ce qui bougeait : homme de loi ou d'État, de cour ou d'église, de lettres ou d'affaires, homme d'armes, de maladie, de désir et de conviction... sans omettre l'homme tout court, c'est-à-dire soi. Ambrose, l'universel redresseur de torts...
Prendre part à une guerre de Sécession, fréquenter non sans assiduité ses semblables de toutes conditions, observer à la loupe et sans indulgence leurs vices, tout cela ne pouvait que le prédisposer à moudre de mauvaises pensées, gorgées d'humour noir.