Le plus sûr ennemi de la peur - la peur du surnaturel - n'est pas le héros que l'homme, en ses rêves, délègue pour l'affronter ; c'est la connaissance, dont la marche ininterrompue repousse toujours plus loin les frontières de l'inexplicable. Alors que, de siècle en siècle, l'homme perd sa capacité de s'effrayer de l'inexplicable, la peur elle aussi se civilise et les auteurs qui la manipulent en renouvellent les artifices.
Ann Radcliffe soumet le cortège des événements terrifiants des Mystères du château d'Udolphe (1794) à l'usage de ce qu'on appelle aujourd'hui le suspense. En déchaînant le monstre créé par Frankenstein (1818), Mary Shelley remplace le surnaturel par la science dévoyée. Carmilla (1871) et Dracula (1897) concilient classicisme et modernisme en introduisant un redoutable passager clandestin, le vampire, dans les fissures de la mythologie chrétienne. Inspiré à Gustav Meyrink par une légende effrayante du ghetto juif de Prague, Le Golem (1915) introduit ou renouvelle, sous le signe de la connaissance interdite, les thèmes du double et du transfert de personnalité. En mettant les puissances infinies de l'ésotérisme au service de la peur, ce roman génial clôture par un véritable feu d'artifice la série d'explosions culturelles que ces cinq chefs-d'oeuvre ont provoquées dans les arsenaux vétustes de l'épouvante.