Depuis le groupe surréaliste – qu’il quitte en 1929 et dont il retient la conjugaison de la fantaisie débridée avec la construction rigoureuse – jusqu’à l’Oulipo – où il entre en 1961 poussé par la volonté d’échapper au flou de l’inspiration – toute l’œuvre de Raymond Queneau, infatigable lecteur, infatigable curieux, est traversée par l’humour et la cocasserie, truffée de trouvailles littéraires qui sont l’effet d’une réflexion sur le langage. Amateur de calembours, citations, pastiches, parodies ; à la fois romancier, satrape, poète, chansonnier scénariste ou peintre, Queneau distille dans ses textes nombre d’allusions autobiographiques, souvent indirectes ou voilées : déjà en 1937 Odile permettait de deviner le récit de la rupture avec Breton.
Ma vie en chiffres rassemble ses tentatives autobiographiques inédites, sérieuses ou pas… D’abord sous la forme d’une ode aux mathématiques où tout est prétexte aux pirouettes algébriques, où l’“eggsistence” du narrateur est rythmé par le comptage obsessionnel (du nombre d’heures travaillées à la quantité de croissants ingérés), puis sous celle d’une fiction avortée, l’Autobiographie trafiquée : tout décrit une existence banale finalement perturbée par la folie créatrice.
La verve de Raymond Queneau, oscillation permanente entre rêve et réalité, entre littérature et langue parlée, ne se sépare jamais de cet humour savant voué à nous régaler. Le Collège de ’Pataphysique dont il fût membre aux côtés de Boris Vian ou Max Ernst n’est pas loin : chaque texte est une mise en pièce de la vision traditionnelle et élève, plein d’espiègleries, un regard nouveau sur le monde.