C’était il y a quarante ans et cela paraît déjà un autre monde : durant plus d’un mois, la France a été privée de télévision.
En effet, du 17 mai au 23 juin 1968, la grève des quelque douze mille personnels de l’ORTF, à Paris comme en province, a imposé un service minimum de l’audiovisuel, sous contrôle syndical. Durant ces semaines d’agitation revendicative, les différentes catégories professionnelles, techniciens, cadres, réalisateurs ou producteurs, ont tenté de promouvoir ensemble un projet pluraliste et autonome. Les grévistes se sont efforcés de mobiliser l’opinion publique, les partis politiques et les artistes à leurs côtés. Une « opération Jéricho » a même été organisée autour de la maison de la Radio, avec des manifestations quotidiennes pour faire tomber le « mur » de l’intransigeance gouvernementale.
Les sanctions ont frappé un journaliste sur trois à l’ORTF (et un gréviste sur deux), avec près d’une centaine de licenciements ou de mutations arbitraires. La radio-télévision est ainsi le seul service public à avoir subi l’épuration au lendemain de Mai-68.
Malgré le caractère exceptionnel de cette crise, elle a largement disparu des mémoires collectives. L’historiographie de Mai-68 lui accorde au mieux une place marginale et les grands récits du gaullisme comme de la CGT font peu de cas de ses péripéties. Il est pourtant passionnant de comprendre les mécanismes complexes de cette grève hors-norme et d’appréhender l’intensité de la confrontation avec le pouvoir de l’époque. Au-delà du débat sur le statut de l’audiovisuel, cette crise éclaire aussi bien l’état de la France de Mai que les tergiversations de la famille gaulliste ou le processus de décision syndical. Elle constitue un moment historique privilégié, à propos duquel la réflexion reste féconde.