Alors que le numérique bouleverse le monde du papier, l'objet livre connaît-il ses dernières heures de gloire? Bruno Racine, Président de la BNF, dresse un état des lieux percutant.
Le livre est-il condamné à disparaître, submergé par le tsunami numérique ? Cette question qui provoque un véritable malaise remplit les pages des magazines.
D'autant plus que le livre semble en pleine forme : les 30000 points de vente et le développement du commerce en ligne le rendent facilement accessible, les bibliothèques publiques permettent de lire pour rien, la loi sur le prix unique du livre est enviée ou imitée par un nombre croissant d'Etats. Même la crise qui s'est abattue sur la planète paraît avoir été clémente envers l'édition. Du reste, on n'a jamais autant publié. Le numérique avait lui-même contribué à cet extraordinaire succès en révolutionnant toutes les étapes qui conduisaient à la fabrication du livre.
Mais voilà qu'au lieu de se cantonner à n'être que le serviteur fidèle, le numérique prétend devenir le maître du logis. Si le " e-book ", onéreux et incommode, à l'offre de contenus bien trop maigre, peinait à séduire jusqu'à récemment, c'est en train de changer brutalement, sous l'impulsion notamment de Google et d'Amazon.
L'explosion de l'Internet est un choc comparable à l'invention de l'imprimerie. Elle remet en cause les modèles préexistants d'autorité et d'accès aux savoirs. Au XXIe siècle comme au XVIe, la maîtrise des textes est un enjeu de pouvoir capital et suscite des conflits acharnés. Cette révolution offre des possibilités nouvelles à la création et à l'accès au savoir -le rêve de la bibliothèque universelle ouverte à tous est en passe de devenir réalité- mais il nous confronte aussi à des risques inédits : le bouleversement de la chaîne du livre, la conservation des données numériques, le risque de monopole des nouveaux opérateurs tels que Google. Ce livre entend souligner le choix politique fondamental entre une conception qui entraînerait notre marginalisation et un partenariat qui ne pourra être équilibré que si la France et l'Europe jouent la carte de la solidarité.