Il n'est pas exagéré de dire que la correspondance latine de Pétrarque – avant tout les vingt-quatre livres des Lettres familières et les dix-huit livres des Lettres de la vieillesse – constitue le chef-d'œuvre du Pétrarque humaniste: réunissant, au sein même de l’immense œuvre latine, un grandiose corpus auquel l’écrivain travailla jusqu’aux derniers mois de sa vie, elle peut être lue aussi bien comme une autobiographie idéale du poète et un commentaire illuminant le reste de l’œuvre que comme un miroir de l’histoire du Trecento et comme l’inventaire des grandes découvertes philologiques qui, comme on sait, renouvelèrent la culture, la conjuguèrent à l’esprit de l’âge classique, l’imprégnèrent de toutes les inquiétudes de l’humanitas et la proposèrent comme la base même de la sensibilité occidentale.
On sait que, paradoxalement et alors même que la philologie pétrarquienne parvenait à un niveau d’excellence quasiment vertigineux, l’édition européenne, malgré plusieurs contributions majeures apparues au fil du xxe siècle – celles de Vittorio Rossi et Umberto Bosco pour les Lettres Familières, de Nicola Festa pour l’Africa, de Giuseppe Billanovich pour les Rerum memorandarum libri, de Guido Martellotti pour la première partie de De viris – s’était montrée réticente à s’engager à fond dans la publication, autre que sporadique, du Pétrarque latin. L’approche du septième centenaire de la naissance du poète, en suscitant en Italie pour 2004 un nouvel et ambitieux élan, piloté par Michele Feo, en vue de l’édition nationale de l’œuvre intégrale, devrait aider à combler définitivement cette lacune. Reste qu’engagée dans un esprit de collaboration fraternelle avec nos amis italiens la présente édition bilingue constitue un événement éditorial de première grandeur.
Ce sera en effet la première fois que les Lettres de Pétrarque sont mises à la disposition du public français dans leur intégralité, lisibles d’un bout à l’autre à la fois dans le texte et dans une excellente traduction – benemeritus de l’œuvre de Pétrarque, Victor Develay à la fin du xixe siècle n’avait donné que des choix de lettres c’est la première fois aussi qu’un ample commentaire historique et érudit, éclipsant de loin et périmant les notes de Fracassetti (1865-1868), orientera le lecteur tant dans la saisie globale du complexe iter culturel et spirituel du poète que, livre après livre et lettre après lettre, dans la compréhension ponctuelle d’un texte toujours riche et passionnant. Enfin, c’est la première fois que le travail d’édition critique, déjà accompli pour les Lettres familières par Vittorio Rossi, sera étendu aux Lettres de la vieillesse.
Redevables pour la traduction française des Familiares à la patience, à la compétence et au goût d’André Longpré, nous avons confié celle des Seniles à un groupe de jeunes et ardents chercheurs formés en Sorbonne Ugo Dotti, un des meilleurs connaisseurs de la personnalité et de l’œuvre de Pétrarque, nous a fait l’honneur de nous donner pour les unes comme pour les autres le commentaire monumental qu’on lira dans la traduction française de Christophe Carraud et de Franck La Brasca. C’est Elvira Nota qui nous offre livre par livre, avec le texte critique des Seniles, les précieuses notes critiques relatives aux textes " pré-canoniques ".
Ayant livré en guise de prémices ces sept premiers livres des Lettres familières, nous poursuivrons parallèlement l’édition des deux grands ensembles du corpus en gardant les yeux fixés sur 2004, espérant même pouvoir, chemin faisant, adjoindre, en Appendice au corps principal, les dix-neuf Sine nomine dans le texte critique de Paul Piur et, avec un texte critique établi par Elvira Nota, les " Lettere disperse ", exclues du corpus et vulgarisées par une récente édition.
Ainsi Les Belles Lettres et la collection des “ Classiques de l’Humanisme ” espèrent-elles prendre leur part de la célébration d’une œuvre à laquelle notre pays, depuis Pierre de Nolhac, ne s’est jamais senti ni voulu étranger.
Pierre Laurens