Le cas de Restif dans la littérature française est unique : il ne peut s'empêcher de raconter sa vie. Inlassablement. Qu'il s'agisse de ses origines, de la figure mythique de son père avec lequel il rivalise tout au long de son existence, des aventures rocambolesques de sa mère (La Vie de mon père), de l'échec de son mariage (La Femme infidèle, réédité ici pour la première fois), de ses amours tourmentées pour la jeune Sara (La Dernière Aventure d'un homme de quarante-cinq ans), de la vie conjugale de sa fille, épouse martyre d'un sadique (Ingénue Saxancour), Restif ne cache rien, pas même les noms et l'identité des personnages mis en scène. Cette crudité le brouillera d'ailleurs avec ses meilleurs amis. Pour le lecteur d'aujourd'hui, elle est un garant de véracité : en effet, les romans de Restif constituent un témoignage exceptionnel sur les mondes que l'auteur a connus. Petit paysan, puis jeune ouvrier en province et à Paris, écrivain enfin, Restif reste un marginal toute sa vie. Mais il observe avec une acuité sans égal le monde rural, les ateliers, les compagnons, les patrons, les imprimeurs, les libraires, les censeurs, les hommes de lettres, le petit peuple de la capitale qu'il traversa pendant vingt ans dans tous les sens (peut-être comme indicateur de police).
A travers ses textes, c'est un univers méprisé par la grande littérature qui reprend vie, et bien rarement les historiens de l'Ancien Régime l'ont pris en défaut. La modernité de ses confidences, ses prises de position (personne avant lui n'avait dénoncé la violence conjugale), l'originalité de ses structures narratives avec leurs personnages récurrents, font de lui un précurseur de Balzac et de Proust, auteurs qui ont été parmi ses lecteurs attentifs et auxquels il a souvent été comparé.