De la vaste pratique scripturaire des lettrés chinois, on retient le plus souvent quelques textes insérés dans des anthologies littéraires, détachés de leur contexte de rédaction et laissés dans une ignorance relative des petites formes auxquelles ils appartiennent. Or, une telle habitude de lecture, dans les langues occidentales, produit un effet de distorsion, accréditant l'image d'une littérature douce-amère, préoccupée de recherche intérieure, ouverte aux mystères naturels et aux expériences de sagesse.
Sans nier cette orientation possible, le présent volume propose de montrer, à travers un auteur et sa pratique d'écriture dans un genre, un lettré au travail. Su Shi (1037-1101), l'un des plus grands prosateurs, poètes et penseurs de la Chine des Song, a en effet, sa vie durant, manié la forme de la commémoration, pièce brève, originellement destinée à être gravée sur stèle pour saluer l'érection d'un bâtiment officiel ou d'une demeure privée, qu'il ouvre à de nouvelles thématiques : éloge d'administrateurs compétents et vertueux, récits de promenades, considérations politiques, relectures de l'histoire, notes plus autobiographiques sur le statut même du lettré, variations bouddhiques ou taoïstes sur l'Absolu, découverte des vertus de l'art.
Tout à tour prudentes, narquoises, érudites, précises ou empreintes d'autodérision, les soixante et une commémorations brossent le portrait d'un esprit libre, soucieux de mettre sa pensée en conformité avec ses actes, prompt à révoquer les savoirs révolus au contact de l'expérience, attaché à construire une éthique communautaire et à restituer, au-delà des oppositions de doctrine, la mission confucéenne par excellence : apprendre à être un homme.