De la vie d'un Vaurien est un bref roman primesautier qui au premier abord conforte, mais ensuite détruit aussi définitivement qu’heureusement l’image si convenue d’un écrivain plein de charme et de rafraîchissante simplicité, mais dénué de tout véritable sérieux. En effet, ce texte met en scène, derrière une apparence ludique, une écriture d’une grande complexité au service d’un projet quelque peu délirant : donner à lire, à travers les tribulations de son naïf héros, la vision que se fait Eichendorff de l’évolution de la littérature allemande ainsi que sa propre conception du monde et de la vie, portée par un christianisme dénué de tout dogmatisme.
Ainsi le lecteur, entraîné par la course bondissante de ce Vaurien, va de surprise en surprise, ignorant tout autant que lui ce qui se passe dans le récit en train de naître sous ses yeux et l’emporte vers des aventures aussi hilarantes que rocambolesques.
Ce texte de 1826, que le public allemand vient seulement (2012) de découvrir dans sa version originale, méritait assurément une traduction qui en fasse ressortir toute l’enivrante étrangeté. Quant à l’introduction, elle permet au lecteur français d’accéder à un récit d’une très savante construction.
Joseph von Eichendorff (1788-1857) est avec E.T.A. Hoffmann le grand représentant du second romantisme allemand. Si tous deux partagent le destin d’une vie professionnelle peu gratifiante, leur œuvre diffère profondément : celle d’Eichendorff est pour partie constituée d’admirables poésies longtemps sous-estimées, sauf par quelques compositeurs parmi les plus grands : Schumann, Wolff, Strauss. C’est que leur apparence aimable ne laisse percevoir les abîmes de l’âme et une conception de la vie à la fois obvie et complexe qu’aux lecteurs les plus exigeants. Le nationalisme d’Eichendorff, pourtant poétique et non politique, lui valut les faveurs douteuses de mouvements idéologiques peu enclins à une lecture rigoureuse, et un prix à son nom fut même attribué de 1935 à 1943, portant le contresens à son paroxysme.
Quant à son abondante prose, elle vaut dans l’esprit du grand public, en particulier français, par le tableau des pérégrinations de ce Vaurien, texte petit par la taille mais immense par la profondeur et l’humour qui se manifestent à chaque détour de chemin et de page.
Philippe Forget, agrégé d’allemand, spécialiste du romantisme, théoricien et traducteur reconnu, a renouvelé la lecture du Werther de Goethe (1994), des Tableaux nocturnes d’Hoffmann (1999 et 2002) ainsi que de plusieurs nouvelles d’Arthur Schnitzler, dont la maintenant célèbre Traumnovelle (1991 et 2002).