Hommes las constitue le dernier volet d'une tétralogie où les personnages, issus pour la plupart du prolétariat rural ou urbain, font l'expérience amère des réalités de la capitale norvégienne dans les années 1880. Nous y retrouvons plusieurs d'entre eux mais la forme est ici différente, et l’auteur n’exploite plus la même veine naturaliste. Ce « roman » d’une étonnante modernité, qui a défrayé la chronique lors de sa parution en 1891, se présente en effet sous la forme d’un journal, impressionniste jusqu’au pointillisme, qui compile des « notes et impressions » éparses à travers lesquelles un homme spleenétique, aboulique, déraciné, le cerveau ramolli par l’abus d’alcool, dialogue avec lui-même par… souci de soi. Car ses confessions sont aussi bien le reflet de l’angoisse existentielle qu’ont vécue les lecteurs de Nietzsche, dont Garborg lui-même et les écrivains de sa génération, que la tentative de trouver des repères intemporels afin de sortir de la « décadence », ressentie en Norvège, et ailleurs dans le Nord de l’Europe, comme un nihilisme difficilement compatible avec la quête de sens propre à l’idiosyncrasie scandinave, comme une crise qui affectait toutes les grandes questions débattues alors : l’amour, le mariage, la sexualité, la religion, la science…
Derrière une ironie omniprésente et grinçante au plus haut degré, Garborg livre ici un Journal du séducteur version fin de siècle, quand s’essouffle la scandaleuse Bohème de Kristiania.
Hormis quatre nouvelles traduites en français, le Norvégien Arne Garborg (1851-1924) est resté un inconnu chez nous bien qu'il fût nobélisable en 1920. Romancier, dramaturge, poète lyrique, redoutable polémiste dans la presse de son époque, ce fils de paysan originaire du Jæren aura été, comme l'écrivait Jean Lescoffier, « le baromètre le plus sensible de la vie intellectuelle et morale en Norvège ».