Lorsque Lu Jia (v. 250-v. 170) compose les Nouveaux discours, la Chine vient d'être à nouveau unifiée sous l'autorité de Liu Bang. Celui-ci fonde la dynastie des Han (206 av. J.-C.-220 apr. J.-C.) sur une terre exsangue, épuisée par le projet politique démesuré du Premier Empereur et par la décennie de guerres sanglantes qui suivit la chute de sa dynastie, les Qin, incapable de survivre à la mort de son créateur. À plus large échelle, ce texte s'inscrit dans l’héritage des Royaumes combattants (453-221 av. J.C.), période de conflits politiques incessants et de riches débats intellectuels, au cours de laquelle nombre de conseillers itinérants se sont laissés tenter par des stratégies politiques dénuées de toute considération morale. Lu Jia leur ressemble fort, mais quittant le domaine de la stratégie, il développe ses Nouveaux discours comme un art de gouverner dans et par l'unité, s'adressant à la fois au prince et à ses sujets et fondé sur une vision du monde naturel et humain. Les douze chapitres de ce traité sont traversés de références intellectuelles riches et diverses articulant les figures idéales de Confucius et des sages de l'Antiquité avec les réalisations et les échecs historiques des périodes récentes.
Longtemps considéré comme un texte mineur, les Nouveaux discours donnent en réalité à lire un manuel de politique destiné à asseoir le nouveau pouvoir des Han à un moment où le succès de la dynastie n’est en aucune façon durablement assuré. Dans ce texte, qui se veut donc une reformulation complète du confucianisme ancien, réactivant les valeurs morales dégagées par le Maître trois siècles plus tôt et les adaptant aux circonstances de son temps, la tradition chinoise voit la première formulation nette du rôle et de l’influence des lettrés dans l’organisation et la stabilisation du pouvoir impérial. Il constitue donc une étape importante dans l’histoire complexe des relations entre confucianisme et régime impérial.
Lu Jia, originaire de l'ancien royaume de Chu, est volontiers présenté comme le premier lettré confucéen de la dynastie des Han. Il apparaît avant tout comme un grand rhéteur et un habile diplomate. Dès le début des soulèvements contre l’empire des Qin, il se rallie à l’un des chefs de l’insurrection, Liu Bang, et contribua ainsi, non par les armes mais par ses idées et sa langue affûtée, à sa victoire finale et à la fondation des Han. Faisant fond sur sa propre expérience et sur sa science classique en partie héritée de Xunzi, il compose un ouvrage historique majeur, les Annales des Chu et des Han, aujourd'hui perdu, mais qui eut une influence profonde sur les Mémoires historiques de Sima Qian. Les Nouveaux discours, seul texte de Lu Jia transmis par la tradition, illustre les talents de rhéteur, de diplomate et d’historien d’un lettré aux multiples facettes.
Stéphane Feuillas, ancien élève de l'École Normale Supérieure de la rue d'Ulm, est maître de conférences en langue et civilisation de la Chine classique à l’Université Paris Diderot. Spécialiste de la pensée et de la littérature de la dynastie des Song, il a traduit un volume d'œuvres de Su Shi intitulé Un Ermite reclus dans l'alcool et autres rhapsodies, et les Commémorations du même auteur, paru dans la collection « Bibliothèque chinoise » des Belles Lettres.
Béatrice L’Haridon est maître de conférences en langue et civilisation de la Chine classique à l’Université Paris Diderot. Ses travaux portent sur la pensée et l'historiographie de la dynastie des Han. Elle a traduit dans la collection « Bibliothèque chinoise » des Belles Lettres les Maîtres mots Yang Xiong.